Au cours de la visite d’Etat qu’il a effectuée au Cameroun le 3 juillet 2015, le Président de la République Française, François Hollande et son hôte camerounais, Paul Biya, ont répondu à certaines préoccupations des médias au cours d’un échange qui a suivi leur tête-à-tête au Palais de l’Unité.
Severin Tchounkeu, La Nouvelle Expression/Equinoxe TV
Monsieur le Président Hollande, les contrats de désendettement et de développement ont laissé apparaître une très grande propension à accorder des projets d’exécution aux entreprises françaises. Le Groupement inter-patronal du Cameroun s’en est inquiété à plusieurs reprises. Peut-on espérer dans le cadre des nouveaux projets, une inflexion en faveur des entreprises camerounaises ? Monsieur le Président, 50 ans après les indépendances, il demeure un conflit latent, historique, sur la période d’administration du Cameroun par la France. Le moment n’est-il pas venu d’adresser cette question en déclassifiant les documents y relatifs ? Le Cameroun peut-il s’attendre à une démarche de votre part, similaire à celle que vous avez effectuée en Algérie ?
« Nous ne pouvons voir que des avantages à ce partenariat. Parce qu’il ne peut pas y avoir d’implantation longue d’entreprises françaises s’il n’y a pas des alliances qui sont nouées avec les entreprises camerounaises. Nous ne voulons pas faire à la place des entreprises camerounaises. Nous voulons faire avec les entreprises camerounaises. Et dans le contrat de développement, l’Agence française de développement est ici présente. Nous ne faisons pas le lien avec les entreprises nationales. Il se trouve que, je ne vais pas m’en plaindre, lorsqu’il y a des appels d’offres, il y a aussi des entreprises françaises qui sont choisies. Et si elles sont choisies, c’est pour leur qualité, c’est pour leurs compétences, c’est pour leur savoir-faire. C’est vrai qu’il y a eu des épisodes extrêmement tourmentés et tragiques même. Puisqu’après l’indépendance, il y a eu une répression en Sanaga-Maritime, au pays Bamiléké, et nous sommes, comme je l’ai fait partout, ouverts pour que les livres d’histoire puissent être ouverts, les archives aussi ».
Gérard Grizbec/ France 2
Ma question s’adresse au Président du Cameroun. Vous êtes au pouvoir depuis 1982. Ce qui fait qu’aujourd’hui vous êtes un des Présidents les plus anciens de la planète. Vous avez été élu plusieurs fois. Vous avez fait plusieurs septennats et effectivement la constitution camerounaise ne limite pas le nombre de mandats. Il y aura un prochain mandat dans trois ans. Nous voudrions savoir dans quel état d’esprit vous êtes. Est-ce que vous comptez plutôt passer la main et considérer qu’une retraite serait peut-être bien méritée ? Dans quel état d’esprit vous êtes aujourd’hui ?
« Je commencerai par dire que ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut. Je ferai une deuxième observation. C’est que, je ne suis pas à la tête de l’Etat par la force. Je n’ai pas acquis le pouvoir de manière dictatoriale. J’ai toujours été élu par le peuple et en ce moment je suis en train de terminer un mandat qui m’a été donné par le peuple. D’ailleurs, il y avait d’autres candidats à cette élection. Je l’ai gagnée. C’est pour dire que les élections Présidentielles camerounaises de 2018 sont certaines, mais encore lointaines. Nous avons le temps de réfléchir et le moment venu, les Camerounais et les amis français et tout le monde sauront si je suis candidat ou si je prends ma retraite ».
Charles Ndongo/ CRTV
Monsieur le Président Hollande, les Camerounais vous remercient pour votre engagement à nos côtés dans la lutte contre Boko Haram. D’ailleurs, vous venez d’en annoncer le renforcement. Mais au-delà, Monsieur le Président, est-ce que votre présence, vos entretiens, votre tête-à-tête avec le Président Biya, vous ont permis d’améliorer votre perception et du Cameroun, et du Président ? Est-ce que vous iriez jusqu’à reprendre à votre compte, ces mots du Président Mitterrand à l’adresse du Président Biya : « Monsieur le Président, je suis à l’aise avec vous » ?
« Le Président Biya m’a confirmé la gravité de la situation. Et donc la nécessité d’agir. Prochainement, le Président du Nigeria va venir ici au Cameroun. C’est très important parce qu’il faut que le Nigeria et le Cameroun aient les meilleurs rapports, les meilleures relations pour agir. Et je pense que ça correspond à l’état d’esprit qui avait été le nôtre lorsque nous avions réuni le sommet de Paris pour prendre des décisions importantes face à Boko Haram. La menace Boko Haram s’est encore amplifiée. Et je suis prêt à réunir de nouveau, lorsque les Présidents me donneront une date, cette conférence pour que nous puissions agir encore davantage par rapport à la lutte contre Boko Haram. »
Le Président François Mitterrand était toujours à l’aise. C’était sa forme de caractère, même s’il pouvait parfois être réservé. J’essaye de m’en inspirer. Et quand j’ai quelques oublis, il se trouve que parfois des traductrices me confondent avec François Mitterrand. C’est arrivé en Angola. Ici je n’ai pas de risque, sauf si on traduisait en anglais mes propos ».
Pierre Boisselet/ Jeune Afrique
J’ai une question qui s’adresse aux deux Présidents. Monsieur le Président François Hollande, avez-vous évoqué avec votre homologue, le sort de l’avocate Me Lydienne Yen Eyoum, votre compatriote ? Monsieur Paul Biya, est-ce que vous envisageriez de faire un geste dans ce dossier ?
Le Président Paul Biya : « Je tiens d’abord à souligner que la justice au Cameroun est totalement indépendante. Même s’il arrivait à l’exécutif de vouloir l’influencer, l’exécutif ne réussirait pas. C’est dire que j’ai assisté comme tout le monde à la sortie du verdict concernant cette personne. Je tiens à dire qu’elle n’était pas une activiste politique hostile au gouvernement. Je n’avais donc aucune raison de lui en vouloir. D’ailleurs beaucoup d’opposants ici vivent en liberté et débattent librement. Mais il se trouve que nous avons fait de la lutte contre la corruption une priorité. Et le cas que vous évoquez s’inscrit dans ce cadre. Je vais être bref. L’avocate en question avait été chargée de récupérer une somme de 2 milliards de F auprès d’une banque pour la déposer au Trésor. Au lieu de déposer les 2 milliards de F, elle n’a déposé qu’un milliard de F. Et c’est là-dessus que les services l’ont poursuivie. La justice a suivi son cours et la Cour suprême a pris une décision. Je verrai ce que je pourrai faire si tel est le souhait de l’intéressée et si la Constitution me donne les moyens de faire quelque chose, c’est de bon cœur que je le ferais le moment venu ».
Le Président François Hollande : « Dans les relations que nous avons établies avec le Président Biya, nous parlons de tout. Donc de tous les sujets. Y compris des questions qui touchent les personnes. C’est ce que nous avons fait. Ensuite, il y a des décisions qui appartiennent au Président Biya, aux autorités camerounaises et à la justice camerounaise… Je voudrais juste aussi souligner que la famille de Me Eyoum m’a saisi et que j’en ai fait part au Président. Mais je voudrais aussi remercier le Cameroun pour l’action qui a été menée face aux enlèvements dont plusieurs de mes compatriotes avaient été hélas victimes. Je pense à la famille Moulin-Fournier, au père Vandenbeusch. Pour nous, c’était très important que nous ayons pu agir et que vous ayez pu également nous soutenir pour obtenir ces libérations. C’était des moments particulièrement éprouvants et ça été des conclusions heureuses alors même que ceux qui les avaient enlevés étaient des groupes terroristes particulièrement dangereux ».
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